C'est
une évidence : de mois en mois, ce contentieux grandit. De plus en plus
de salariés s'estiment, à juste titre ou non, victimes de harcèlement.
En matière de preuve du harcèlement moral, la Cour de cassation impose la marche à suivre suivante :
- 1. Le salarié doit établir la matérialité de faits précis et concordants constituant pour lui un harcèlement ;
- 2. Le juge apprécie si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
- 3. Dans l'affirmative, l'employeur doit prouver que ces agissements
ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est
justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement
Une série
d'arrêts rendus le mois dernier et début avril par la Haute juridiction
nous permet de rappeler les indices et éléments de preuve que le salarié
doit avancer pour établir le harcèlement.
Des attestations peuvent suffire
Ce n'est pas
la parole du salarié contre celle de l'employeur. Le salarié doit
impérativement avancer les faits qui lui permettent d'affirmer qu'il
s'estime harcelé.
Une attestation d'un collègue est un début de
preuve, admet la Cour : dans cet arrêt, le salarié produisait une
attestation d'un de ses anciens collègues faisant état du harcèlement
moral dont ils avaient été tous deux fait l'objet ainsi que deux
certificats médicaux, l'un émanant du médecin du travail, indiquant
qu'il présentait un état anxieux à la suite d'un incident avec son
employeur (voir l'arrêt 1).
Des témoignages
Il en va de
même des témoignages de collègues notamment. Une cour d'appel avait
débouté un salarié protégé de ses demandes, jugeant les témoignages
"imprécis et exprimés en termes généraux, à l'exception d'un seul
relatant des faits très anciens", de même "les attestations faisant état
de quolibets ne comportaient aucune précision quant à la période, la
fréquence, les circonstances et l'imputabilité de ceux-ci". En dépit de
ces éléments, la Cour de cassation a cassé cet arrêt (lire l'arrêt 2).
Des échanges de mails
De la même
façon, un échange de mails peut constituer un début de preuve. Encore
faut-il que le salarié soit bien le destinataire du mail et qu'il puisse
prouver sa provenance, rappelle un arrêt du 22 mars (arrêt 3).
Les juges ont ainsi écarté les courriels électroniques prétendument
adressés par le responsable du salarié à diverses personnes de
l'entreprise car "l'intéressé ne justifie pas des conditions dans
lesquelles il les avait obtenus, mais aussi que ces documents
n'apparaissent pas dans la boîte mail dudit responsable. Soupçonnés
faux, les mails n'ont pas été retenus.
Un courrier du médecin du travail
De même (arrêt 4),
apporte suffisamment d'éléments la salariée qui "produit une
attestation d'un membre du CHSCT" reconnaissant qu'elle se
faisait humilier et harceler par sa responsable de magasin, éléments
confortés par " des échanges de correspondances entre le médecin du
travail et celui de la caisse primaire d'assurance maladie dont il
ressortait que les difficultés étaient telles qu'elles compromettaient
la reprise du travail de l'intéressée qui était déprimée et traitée par
des antidépresseurs et des anxiolytiques".
Prouver des méthodes et modes de management vexatoires
La Cour a
admis que le mode de management puisse constituer un cas de harcèlement.
Il en va de même des mesures vexatoires répétées prises par la
hiérarchie. L'employeur doit exécuter de bonne foi le contrat. Cela lui
interdit l'usage de certaines méthodes, rappelle la Cour dans un arrêt
du 30 mars(arrêt 5).
Dans
cette affaire, un directeur général de la division "produits de
cuisine" "avait été privé de secrétaire et "changé de bureau" en dehors
de toute réorganisation du service. Il avait aussi vu le montant de sa
part variable modifié et ne figurait plus ni sur l'organigramme des
directeurs généraux de la société ni dans la note accompagnant celui-ci
sans aucune démonstration de motif objectif de ce changement". Enfin, la
définition de ses fonctions avait subi des modifications répétées
visant à supprimer son poste, et il s'était vu retirer l'ensemble de ses
collaborateurs, de sorte qu'il n'avait plus de moyens d'action ".
Autre arrêt de la même veine (lire l'arrêt 6):
une médecin anesthésiste qui n'est plus chargée de l'établissement de
tableaux de service en sa qualité de médecin référent, dont
l'autorisation de congés n'est pas signée, les horaires de travail
pendant l'été modifiés. En outre, ses arrêts de travail avaient été
contrôlés et elle n'avait pas été invitée à la soirée des voeux.
Insultes et agressions
Il en va de
même pour une employée de bureau qui "s'était vu imposer des horaires
extensibles, variant d'un jour à l'autre et qu'elle n'était pas en
mesure de prévoir" et qui "subissait l'attitude désobligeante et même
insultante du gérant, lequel la traitait
de nulle, d'incapable, de
bonne à rien et lui parlait vulgairement". Ces mauvaises relations,
constatent les juges, "avaient déstabilisé son état psychologique
jusqu'à aboutir à l'inaptitude"(arrêt 7).
Il va
sans dire que constitue un harcèlement le fait d'agresser verbalement
et physiquement une vendeuse de retour d'un congé maternité. Celle-ci
avait d'ailleurs déposé plainte et en arrêt de travail pour maladie. Dès
son retour, "elle avait subi des changements quotidiens de tâches et de
secteur et une mise à l'écart des autres employés auxquels elle ne
devait pas adresser la parole" (lire arrêt 8).
Conditions de travail et brimades
Les
conditions de travail peuvent aussi déceler une situations de
harcèlement. C'est le cas d'un préparatrice en pharmacie " contrainte,
pendant plusieurs mois, de travailler dans un local exigu, encombré et
non chauffé, qui subit des critiques répétées et dévalorisantes souvent
en présence de la clientèle". Les juges relèvent qu'elle "a vu ses
attributions de préparatrice réduites à une activité de rangement et de
nettoyage" (arrêt 9 et aussi arrêt 11 à propos d'une vendeuse).
Enfin,
le harcèlement a également été retenu à l'encontre d'une responsable
hiérarchique qui portait sur un salarié (dont l'état de santé s'était
dégradé) "des appréciations fortement négatives peu conformes à celles
qu'il avait reçues les années précédentes. Elle avait refusé tout
dialogue avec le salarié, lui avait transmis une autorisation de congé
avec retard et ne lui envoyait pas son planning de travail en temps
utile". Dernier indice, le salarié était le seul à apparaître sous son
nom de famille et non sous son prénom sur le planning d'accueil ce qui
constituait une inégalité de traitement avec les autres agents du
centre" (arrêt 10).