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Le contrat première embauche (CPE) est censé résoudre le problème du chômage des jeunes. Il constitue une nouvelle attaque frontale contre le droit du travail. Il ouvre la voie à une refonte de ce même droit, réclamé avec intensité par le Medef et déjà prévue par le gouvernement. L’argument du chômage des jeunes est ici utilisé pour accentuer la précarisation, déjà intolérable, de toute une frange de la population.
La novlangue orwellienne est à l’oeuvre quand le Premier ministre, affirmant vouloir défendre « le modèle social français » s’acharne à en détruire les fondements et quand il veut nous faire croire que le CPE et sa période de « consolidation de l’emploi » seraient un tremplin pour l’emploi de jeunes. Une période de deux ans, durant laquelle les licenciements pourront avoir lieu sans aucune justification, ouvrirait la voie à la création d’emplois stables. En fait, le seul avantage du CPE est celui qu’en tireront les employeurs, qui pourront dorénavant procéder à une rotation des jeunes, de salariés corvéables à merci et jetables sans les contraintes habituelles. Le CPE cannibalisera les autres contrats de travail et les employeurs pourront enchaîner CPE après CPE.
Ce qui, avec le contrat nouvelles embauches (CNE), était réservé aux entreprises de moins de 21 salariés sera maintenant appliqué pour les jeunes à toutes les entreprises, avant d’être étendu à tout le salariat comme le gouvernement l’envisage explicitement. Un amendement déposé par le gouvernement dispose de plus qu’« en cas de rupture du contrat à l’initiative de l’employeur, au cours des deux premières années, il ne peut être conclu de nouveau contrat première embauche entre le même employeur et le même salarié avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat ». En clair, le CPE pourra devenir un contrat de deuxième, troisième, voire quatrième embauche à condition que l’employeur attende trois mois.
Pour les jeunes, les premiers pas dans l’emploi se traduiront par l’appréhension d’une encore plus grande précarité, l’apprentissage de la docilité pour pouvoir espérer y échapper. Vivre constamment avec l’épée de Damoclès du licenciement suspendue au-dessus de la tête, voilà le sort réservé aux premiers embauchés. Concrètement, cela veut dire adieu au droit de grève, adieu à la prise de responsabilité syndicale, adieu à toute forme de contestation, de regard critique ou même de respect des règles élémentaires du droit du travail. S’agit-il de faire des jeunes des salariés de seconde zone, précarisés, flexibilisés, réduits au silence ?
D’autant que cette jeunesse souffre de la précarisation de l’ensemble de son existence. Résignation et désenchantement, telles sont les caractéristiques d’une jeunesse qui est sommée de se satisfaire de son sort, qui doit accepter l’idée qu’elle est une génération qui vivra moins bien que celle de ses parents. Les jeunes aujourd’hui, qu’ils soient salariés ou en formation, sont touchés par une précarité multiforme. Une précarité de l’emploi, faite de succession de stages, de CDD, de période d’intérim, de chômage, ou de double statut pour les étudiants, qui sont maintenant près de la moitié à travailler. Une précarité du logement, accentué par l’augmentation des loyers, le délabrement des cités universitaires. Une précarité dans les études, avec des conditions de vie de plus en plus difficiles, des bourses indécentes, des logements hors de prix, des universités sous-dotées, ainsi qu’une difficulté de plus en plus importante à concilier étude et travail. Cette précarité généralisée est un frein majeur à la réalisation de l’autonomie que tous les jeunes recherchent. Elle entraîne une situation d’incertitude constante, une incapacité à se projeter dans l’avenir, à construire sa propre vie. Cette souffrance a été mise en lumière récemment, par le mouvement des stagiaires, et par les étudiants en éducation physique et sportive qui ont fait annuler l’épreuve du Capes pour protester contre la réduction de 50 % du nombre de postes à ce concours. Aujourd’hui, plus d’avenir : les concours de la fonction publique se ferment, austérité budgétaire oblige, et le seul choix laissé à la jeunesse est celui de la précarité, CDD, intérim, stages et maintenant CPE. Nous défendons, pour notre part, la nécessité de permettre une réelle autonomie de la jeunesse. Elle ne pourra se faire que par l’acquisition d’un statut salarial stable et durable d’une part, et d’autre part par la création d’un revenu socialisé d’étude pour les jeunes en formation.
La nouvelle présidente du Medef, Laurence Parisot, affirmait il y a peu : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
Une telle vision revient sur des décennies de luttes sociales dont l’objectif était justement de sortir les êtres humains de la précarité de la vie quotidienne qui était la leur. Face à un projet de société réactionnaire, au sens premier du mot, il faut aujourd’hui réaffirmer ce qui a été au fondement du syndicalisme dès sa naissance, la nécessaire « émancipation intégrale » de l’humanité de toutes les formes d’exploitation et d’oppression.
Par Annick COUPE et Aurélien PIOLOT
Annick Coupé porte-parole nationale de l’Union syndicale Solidaires et Aurélien Piolot porte-parole de la fédération Sud étudiants.
http://www.liberation.fr/page.php ?Article=356385 ?Article=356385 ?Article=356385