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- Si il s’agit d’un projet d’investissement bien individualisé, ce qu’il faut essayer de mesurer et de pronostiquer
peut être relativement circonscrit : validité du projet, compétences du porteur du projet, solvabilité du marché, potentialités
de développement, etc.
- Si il s’agit d’engager des fonds dans une entreprise déjà existante et qui développe de multiples activités,
il faut alors essayer de connaître les antécédents de cette entreprise, sa réalité actuelle, la validité de ses divers projets.
Investir dans un projet, quel qu’il soit, c’est toujours, plus ou moins, faire un certain nombre de paris sur l’avenir,
et notamment faire plus ou moins « confiance » à ceux auxquels vous allez confier vos fonds.
Pendant des siècles, cette tâche relevait d’une analyse interne et propre à chaque établissement de crédit. Les banques,
par exemple, essayaient d’avoir en leur sein un service spécialisé chargé de ces études pour pouvoir, ensuite, décider
de leurs placements, et pour conseiller leurs déposants dans leurs investissements. Au cours du XIXe siècle, aux Etats-
Unis, alors que le capitalisme y était en extension rapide et forte, des cabinets privés vont se mettre sur le marché
pour proposer aux banquiers et aux investisseurs leurs propres points de vue et opinions. Cette offre nouvelle va rencontrer
une demande venant de banquiers souhaitant externaliser cette activité et d’investisseurs nouveaux incapables
d’avoir leur propre cabinet d’analyse. Ces analystes vendaient à leurs abonnés les informations qu’ils détenaient sur
différents secteurs d’investissements (chemins de fer, électricité, téléphone, chimie, etc). Puis, l’un ce ces cabinets va
prendre l’initiative de « noter », de façcon comparative, des projets d’entreprises pour faciliter le choix des détenteurs
de capitaux à la recherche de rentabilité. Ces services se désigneront alors comme étant des agences de notation financière.
Après la Première guerre mondiale, ces agences vont se mettre à noter non seulement des entreprises mais aussi des
collectivités territoriales et des Etats. Durant l’entre deux guerres, quatre agences de notation, toutes domiciliées
aux Etats-Unis, vont dominer le marché. Pendant toute la phase où le capitalisme industriel était dominant, c’étaient
les détenteurs de capitaux, les banquiers, qui payaient les agences de notation.
Ceci va s’inverser avec la prééminence
du capitalisme financier et des rentiers.
Désormais, ce sont les entreprises et les collectivités publiques qui « payent » pour être notées et pour espérer, ensuite,
obtenir des capitaux de la part des propriétaires de fonds (c’est le principe de l’émetteur-payeur). Actuellement,
90 % du chiffre d’affaires des agences de notation provient des entités qui demandent à être notées. Trois agences de
notation captent 95 % du marché de la notation financière. Cette situation de quasi monopole mondial ne gêne en
rien les néolibéraux qui se déclarent pourtant pour une concurrence libre et non faussée. Ce sont des entreprises dont
le chiffre d’affaires et les profits sont en croissance très forte depuis le début des années 2000.
A plusieurs occasions, des pouvoirs publics sont intervenus pour conforter la place des agences de notation et pour
légitimer leur intervention.
- Aux Etats-Unis, en 1931, une réglementation stipule que toute banque américaine doit désormais comptabiliser
les titres qu’elle détient dans son portefeuille en fonction de leur note.
- En 1936, toujours aux Etats-Unis, il est fait interdiction aux banques d’acheter des titres mal notés. Ainsi la
notation des agences pouvait conduire les banques à ne pas acheter certains produits ; on imagine facilement les manipulations
que ceci peut amener.
- En 1975, la Securities and Exchange Commission (SEC, le « gendarme » de la bourse des Etats-Unis) décide de
limiter le nombre d’agences dont les notations sont susceptibles d’être utilisées par les banquiers. Ainsi, seules les
trois grosses agences qui dominaient déjà le marché vont recevoir l’agrément, ce qui va faciliter encore leur emprise
sur le marché de la notation.
- En 1990, encore aux Etats-Unis, le plan Brady va notamment accroître le nombre d’états et de collectivités locales
qui sont obligés d’avoir une notation pour accéder au crédit. C’est un moyen pour augmenter la clientèle des trois
agences. Toutes ces décisions politiques convergent pour donner un pouvoir à quelques agences de notation.
- En 2004, des accords dits « Bâle II » viennent compléter les accords « Bâle I » de 1988 en demandant aux
banques de calculer le ratio de 8 % de fonds propres dont elles doivent disposer par rapport à leurs crédits en tenant
compte des notations des agences. Ainsi, les travaux des agences de notation sont incorporés dans la réglementation
pour fixer le montant des fonds propres dont doit disposer une banque ou pour déterminer le type de produits financiers
que peut détenir un investisseur institutionnel. On imagine les conséquences de ces notations sur les actifs des banques,
et sur leurs décisions d’acheter ou de vendre tels ou tels titres. On imagine aussi les pressions amicales qui doivent
être faites aux agences pour qu’elles favorisent certains titres.
Toutes ces prérogatives accordées, de fait, aux trois agences de notation qui dominent le marché, ont conduit tout naturellement
à leur donner une influence encore plus grande et un poids sur la fixation des valeurs des actifs des entreprises
et des banques, et sur le « crédit » à accorder à des Etats ou des collectivités territoriales. Et tout ceci s’est
fait sans que, pratiquement, une réglementation efficace n’ait été mise en place quant au fonctionnement et au statut
des agences de notation.
Déjà, durant l’entre deux guerres, les agences de notation ont montré leurs limites, par exemple en ne voyant nullement
venir la crise de 1929.
- A compter du début des années 1990, avec la multiplication des crises de liquidité et de solvabilité de nombreux
Etats (Mexique, Thaïlande, Philippines, Malaisie, Indonésie, Corée du Sud, Russie, Argentine, Brésil), il sera possible
de constater tout à la fois les erreurs de prévisions des agences, comme leurs aveuglements, et les effets autoréalisateurs
de leurs mauvaises notations éventuelles.
- Plus récemment, Vivendi Universal faisait faillite deux semaines après avoir été notée « AAA ». En 2001,
Enron est très bien notée quatre jours avant sa faillite. Avant la crise des subprimes commencée en 2006/2007 aux
Etats-Unis, les trois agences qui dominent le marché, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, ont participé à la mécanique
des crédits titrisés, puis leur ont accordé des notes « AAA ». En 2008, la banque Lehman Brothers est notée « A » la
veille de son effondrement.
Avec la crise de la dette publique grecque, en 2010 et 2011, il apparaît que les agences de notation, de fait, alimentent
la spéculation financière. En 2011, Standard & Poor’s fait ouvertement de la politique quand elle baisse la note attribuée
à la dette publique à long terme des Etats-Unis.
Malgré tous ces échecs, malgré ces dégâts, les dirigeants politiques, après quelques discours vengeurs, laissent inchangées
les prérogatives des trois agences de notation financière.
En octobre 2008, Sarkozy déclarait « Les agences de notation doivent être sanctionnées ». En avril 2010, Dominique
Strauss-Kahn, alors directeur du FMI, déclarait « Les agences sont rémunérées par ceux qu’elles notent, d’où un problème
d’indépendance et d’objectivité ».
- Mais toutes ces promesses de « moraliser le capitalisme » n’étaient bien que de la poudre aux yeux : les
pouvoirs et privilèges des financiers et de la finance ont été maintenus. Les trois agences continuent d’attribuer des
notes aux Etats, aux collectivités, aux entreprises, et ces notes continuent de peser très directement sur leurs possibilités
d’accéder aux marchés de capitaux.
- On voit même les agences dire aux gouvernements ce qu’ils devraient faire : reculer l’âge de départ en retraite,
réduire les dépenses publiques, supprimer des emplois publics, tailler dans les dépenses sociales, privatiser les
derniers services publics. Et les gouvernements s’exécutent. Les plans de rigueur se succèdent, et les gouvernants assument
dorénavant que les mesures prises le sont pour « rassurer les marchés financiers ». Quand l’alternance politique
des gouvernants ne suffit plus, les banquiers prennent directement les manettes : le chef du gouvernement grec, le
chef du gouvernement italien, le nouveau directeur de la Banque centrale européenne et le ministre des finances espagnol
sont tous des anciens de la Banque Goldman Sachs.
Les agences de notation nous sont présentées par tous les économistes et experts aux ordres et au service comme
étant le thermomètre et l’indicateur (en oubliant toujours de faire état des nombreux fiascos et des manipulations
dont elles traînent les casseroles). C’est le rôle qui leur est attribué pour participer à la domination de la finance et
des financiers : être le « technicien », qui ne fait pas de politique, et qui dit ce qu’il en est de l’économie, et qui dit aux
gouvernements ce qu’ils doivent faire pour retrouver l’équilibre.
Elles ont désormais un rôle important dans les opérations de siphonage régulier de la démocratie. La parodie de maîtrise
des choses à laquelle se livrent de nombreux responsables politiques est affligeante : délibérément au service de la finance,
ils ne font toujours rien pour réduire les pouvoirs qui lui ont été donnés progressivement. Très faibles avec ceux
qu’ils ont contribué à rendre très puissants, ils sont très durs à l’égard de tous les autres.
Dans un système capitaliste, où la décision d’investir est prioritairement fonction de la rentabilité des investissements
engagés, il est normal que les détenteurs de capitaux s’efforcent de se garantir dans leurs risques d’investissements.
La question de l’utilité ou non des agences de notation ne peut donc être posée isolément.
- Il faut traiter, en amont, de la question primordiale du fonctionnement des marchés, et pas seulement des marchés
financiers. Si on veut « cadrer » les agences de notation, il faut commencer par cadrer le fonctionnement des marchés.
- Il faut aussi démocratiser les choix économiques, qu’ils soient l’oeuvre d’entreprises privées ou d’organismes
publics, car ils ont toujours des conséquences collectives. Ceci implique, par exemple, que les conseils d’administration
des entreprises ne donnent pas le pouvoir aux actionnaires. Le choix de l’endettement sera alors transparent, et son
lien avec l’investissement pourra être fait. On peut alors imaginer des organismes d’évaluation de projets qui viendraient
aider à la prise de décision démocratique, sans la remplacer, pour donner la possibilité de choisir la meilleure allocation
possible des fonds. Ceci implique certainement aussi d’autres réformes, comme, au minimum, la création d’un pôle
bancaire public.
- Pour les Etats, il est nécessaire de leur donner la possibilité de financer leur endettement autrement que
par un recours obligatoire aux « marchés financiers », ce qui implique, pour l’Union européenne et la zone euro, une
modification des traités européens et une modification de la BCE. Il faut, par exemple, que la BCE puisse prêter directement
aux Etats de la zone euro (comme la Banque Fédérale peut le faire aux Etats- Unis).
- Il faut arrêter ce scandale supplémentaire qui permet de siphonner des fonds publics vers des portefeuilles
privés par une BCE qui prête aux banques privées au taux de 1 %, lesquelles prêtent ensuite aux Etats à des taux de 4%,
5 %, 12,40 % pour le Portugal, etc., les actionnaires et les dirigeants de ces banques engrangeant la différence.
Dans tous les cas, c’est un renforcement, un élargissement et une revitalisation de la démocratie qui sont nécessaires.
Dans l’immédiat ceci passe aussi par un audit de la dette publique et par une réforme fiscale d’ampleur afin de cesser
de provoquer les déficits publics par l’exonération fiscale des plus riches auxquels les gouvernements empruntent ensuite
et versent des intérêts.