La fragilisation de notre système de retraite solidaire : 20 ans de contre-réformes
L’augmentation continuelle de la productivité permet de produire bien plus de richesses en moins de temps. En France, du début du 19ème siècle à la fin du 20ème, la productivité horaire a été multipliée par 30, la production par 16 et le temps de travail diminué par 2 ! C’est cette évolution historique, cette possibilité de travailler de moins en moins longtemps pour produire la même chose, qui permet à l’être humain de consacrer de moins en moins de temps de sa vie à la production, de bénéficier de temps libre par le repos hebdomadaire, les congés payés et la RTT, de commencer à étudier avant de travailler, de quitter le travail de plus en plus tôt pour une juste retraite…
Plus d’un siècle de progrès social des retraites…
1850 : quelques rares entreprises constituent un capital pour la retraite des salariés qu’ils veulent « fidéliser » : il faut rester dans l’entreprise pour en bénéficier. En avance, les compagnies privées de chemin de fer veulent assurer la sécurité par du « personnel qui s’y consacre sans préoccupation, qui possède la certitude, lorsque l’âge ou les infirmités l’auraient rendu impropre au service, de ne pas passer à la misère ». Le salarié part à 55 ans (50 ans à la conduite, métier pénible). Les compagnies s’attachent le personnel, peu payé, par la promesse d’une retraite, qui fait partie du contrat de travail. L’État crée une Caisse de retraite pour la vieillesse. Le salarié se constitue un capital rémunéré à un taux attractif. Des entreprises complètent ou versent les cotisations.
1853 : régime de retraite des fonctionnaires
1910 : loi sur les retraites ouvrières et paysannes, mal appliquée.
1930 : régime général des assurances sociales, par capitalisation : le salarié investit dans les « fonds de pension » et le niveau de sa pension est déterminée par les spéculateurs.
1945 : le régime général de sécurité sociale, par répartition, est mis en place pour le secteur privé. Les actifs cotisent et versent aux retraités sous forme de pension, dont le niveau résulte d’une décision politique. Avant 1945, des régimes « spéciaux » offraient une meilleure protection. Ils sont conservés, dans l’attente d’être rattrapés par le régime général qui devait être amélioré…
1962 : mise en place d’un régime complémentaire qui améliore la pension. ARRCO et AGIRC, obligatoires en 1972, versent 54 milliards d’€ par an (en plus des 76 du régime de base)
1972 : minimum de pension, garanti au salarié ayant cotisé 37,5 ans
1983 : retraite à 60 ans pour tou(te)s. A cette époque, le nombre de cotisants (en millions) s’élève à 16,6 pour le privé, 2,3 non salariés, 4,3 fonction publique et 0,5 régimes spéciaux.
La part des retraites dans le PIB ne cesse d’augmenter : 5,4% en 1959, 7,3% en 1970, 11,7% en 2000 et 12,1% en 2007.
… puis la régression sociale des retraites depuis 1993
Le Medef veut « détricoter » les acquis de 1945, le programme du Conseil National de la Résistance qui a mis en place une efficace protection sociale échappant aux profits et organisant des solidarités. Il s’y emploie avec l’appui du gouvernement. Plusieurs contre-réformes remettent en cause le système par répartition en le fragilisant. Elles ont été imposées l’une après l’autre, en visant à chaque fois une partie seulement des salariés afin de diviser pour régner, d’éviter une réaction d’ensemble.
1993 : le privé avec les mesures Balladur.
- la pension est calculée sur les salaires des 25 meilleures années et non des 10 meilleures. Dans les 15 années supplémentaires figurent des années plus mauvaises tirant la pension vers le bas. Même dans le cas d’une carrière étale, la pension baisse car le salaire touché quelques dizaines d’années auparavant vaut moins puisque revalorisé seulement sur la base des prix, et non plus sur les salaires (mesure mise en place dans les faits depuis 1987).
- passage de 37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein (50 % du salaire annuel moyen) entre 60 et 65 ans. Il faut 40 ans de cotisation pour continuer à partir avec 50% du salaire. Partir à 37,5 ans ne permet de toucher que 46,87%, soit une perte de 6,25%.
- indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires. Cette mesure ne touche pas tout de suite le jeune retraité, mais il ne profite plus d’une solidarité entre pension et salaire. Petit à petit, sa pension perd du pouvoir d’achat qui se cumule avec le temps et s’élève à 20% sur 20 ans.
- décote de 10% par année manquante. De façon transitoire, jusqu’en 2003, la durée d’assurance pour une carrière complète reste fixée à 37,5 ans qui reste le seuil pour calculer le nombre d’années manquantes dont chacune coûte 10% de la pension ! En 2003, la décote sera ramenée à 5%, mais s’appliquera aux années manquantes pour arriver à 40 ans de cotisation.
Toutes ces mesures se cumulent : en moyenne elles ont fait baisser les pensions de 20% le jour du départ en retraite, puis la perte du pouvoir d’achat s’est amplifiée avec la désindexation sur les salaires (ajout de 20% de perte sur 20 ans).
En 1996, ce sont les régimes de retraites complémentaires qui réduisent le nombre des points accordés chaque année à leurs cotisants, limitant par là même la retraite qu’ils leur verseront plus tard. Ainsi en 1990, 100 F de cotisations à l’ARRCO attribuaient un droit de 9,60 F (rendement de 9,6 %) ; en 2009, 100 € de cotisation ouvrent un droit de 6,60 € (rendement de 6,6 %). Le nombre de points acquis par les salariés diminue, et la valeur monétaire du point, indexée seulement sur l’indice des prix, perd de la valeur. C’est la double peine : moins de points et valeur du point en baisse.
En 1999, le rapport Charpin a calculé les conséquences de cette contre-réforme en 2040 : baisse de moitié du taux de remplacement des pensions complémentaires.
Informations complémentaires :
- la soi-disant équité : les cadres supérieurs ont été intégrés à l’AGIRC en 1991, avec le principe selon lequel une même cotisation doit donner les mêmes droits au niveau du Smic et à 8 fois le plafond de Sécurité sociale, ce qui a instauré de fait un transfert de fonds de l’ARRCO (régimes de tous les salariés) vers l’AGIRC (les seuls cadres).
- AGFF : ces régimes complémentaires n’ouvrent des droits qu’à 65 ans. Pour combler les 5 ans entre 60 (âge légal de départ, utilisé réellement dans le privé) et 65 ans, une AGFF (association pour la gestion du fonds de financement) s’est mise en place. En 2009, pour 100 € de cotisations de retraites complémentaires (incluant les cotisations AGFF), le rendement était de 5,25 % pour un non cadre gagnant 26 700 €, de 6,15 % pour un cadre supérieur gagnant 200 000 €.
2003 : la fonction publique subit le même sort que le privé en 1993 :
- passage de 37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein (75 % du dernier salaire touché pendant au moins 6 mois) entre 60 et 65 ans, applicable en 2008 (mise en place progressive sur 5 ans). Certaines professions (dites actives) maintiennent les départs à 55 ans.
Avec un calcul de la pension sur 37,5 ans, une durée moyenne de cotisations de 37 ans (exemple proche de la réalité) permettait d’obtenir 74% (37 ans x 2% apporté par chaque année travaillée).
Avec le calcul sur 40 ans, chaque année n’amène plus que 1,875% (75% / 40 ans), et la pension ne représente plus que 69,4% (37 ans x 1,875%)… et 59% avec la décote. Le passage à 41 ans en 2012 fera encore baisser la pension : chaque année apporte 75/41 = 1,829% et la pension diminue à 67,7%... et 54,1% avec la décote, soit une de 27% de la pension.
- indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires.
- décote de 5% par année manquante en 2015 (mise en place progressive sur 10 ans...)
Et, pour tous les salariés : allongement quasiment automatique de la durée de cotisation en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie.
La loi impose le maintien du rapport, constaté en 2003, entre les 40 ans de cotisations et les 22,39 ans d’espérance de vie (soit 40/22,39=1,8). Tous les 4 ans, l’évolution de ce rapport est regardée et une décision d’augmentation de la durée de cotisation est imposée pour le maintenir constant. En 2008, l’estimation qu’en 2012, l’espérance de vie après 60 ans serait à 23,74 ans (soit 1,35 an en plus par rapport à 2003) a amener le gouvernement a répartir le 1,35 an en 1 an de cotisation (qui passe à 41 ans) et 0,35 an de plus de durée de retraite. L’augmentation de l’espérance de vie a été répartie en ¾ pour la durée de cotisation et ¼ pour la durée de retraite. Le même calcul devrait conclure à une durée de cotisation de 41,5 ans en 2020.
2007 : les régimes spéciaux se rapprochent de la fonction publique.
- passage de 37,5 ans à 40 ans (de façon progressive 40 ans en 2012 puis 41 ans en 2016) de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein (75 % du dernier salaire touché pendant au moins 6 mois).
- indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires.
- décote de 5% par année manquante
Pour faire accepter la contre-réforme par certaines organisations syndicales, des compensations ont été accordées. A la SNCF, par exemple : augmentation du dernier salaire par la création d’un échelon (attribué automatiquement à l’ancienneté) supplémentaire, augmentation de la pension par l’intégration de petites parties de primes dans le traitement… Mais elles ne compensent pas grand-chose : la contre-réforme fait baisser la pension de 19%. Pour bénéficier du même niveau de pension qu’avant, le cheminot doit travailler 2,5 ans de plus.
Conséquences de ces contre-réformes
Quoi qu’en disent le Medef et le gouvernement, l’objectif des contre-réformes est de baisser le niveau de la pension par rapport au salaire. Dans une période de chômage où les départs réels du travail s’effectuent entre 58 et 59 ans, les durées réelles de cotisation (statistiques et prévisions du COR) :
- sont de 37,5 ans aujourd’hui,
- augmenteront à 38,75 ans en 2020,
- puis baisseront progressivement à 37 ans en 2035 et au-delà.
Toutes les mesures du gouvernement pour faire semblant de faire travailler les plus anciens n’ont aucune influence sur le fond, le taux de chômage, mais transfèrent ces anciens d’un statut à l’autre.
Voici par exemple l’effet des mesures pour diminuer le nombre de préretraités : le nombre de chômeurs dispensés d’emplois augmente (essentiellement les plus de 58 ans, car leur âge rend très improbable la possibilité de trouver un travail) et l’ensemble des personnes hors activité augmente. [cF TABLEAU DANS DOC PDF]
Toutes les statistiques le montrent :
- La pension représentait 79% du salaire avant les contre-réformes, 72% en 2007 et serait de 65% en 2020 et 59% en 2050 (selon le COR). Bien sûr, cela pénalise plus les personnes aux carrières heurtées ou interrompues, notamment les femmes dont seulement 39% ont pu valider 37,5 ans (contre 85% des hommes), mais aussi les chômeurs, précaires, petits boulots, temps partiels…, les jeunes qui débutent tard dans la vie active (études, chômage…) : début à 25 ans + 42 ans de cotisation = retraite à 67 ans ? Et aussi les métiers pénibles à la faible espérance de vie.
- Le pouvoir d’achat des retraités, entre 1994 et 2004, a baissé chaque année de :
- 0,3% pour le régime général de base et
- 0,6% pour les complémentaires,
- 0,5% pour les fonctionnaires.
Si nous laissons faire, l’avenir qu’ils nous réservent sera la même chose : la durée de cotisation sera toujours de 37 ans selon un constat partagé du COR et la pension en 2035 se calculera sur la base de 37/42 de la pension entière, soit 88%, auquel il faut retirer 3 x 5% = 15% de décote.
En prenant l’exemple d’une pension entière de 1 000 € avant les contre-réformes, les 37/42ème attribuent une pension de base de 880 € et la pension réelle avec décote de 15% à 748 €, soit une baisse de 25%.
La France n’est pas isolée. Il faut y voir les conséquences d’une mondialisation qui généralise l’austérité pour les salarié-es afin d’augmenter les profits de quelques-uns, et la remise en cause d’une protection sociale s’appuyant sur des cotisations sociales et de la retraite par répartition.
[cF TABLEAU DANS DOC PDF]
documents joints
Fiche retraite 2
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